L’addiction sexuelle : quand le besoin devient pathologique…


Le film SHAME, de Steve Mc Queen, est sorti début décembre 2011 dans les salles et a suscité ou fascination, ou incompréhension, ou encore pour certains dégout et répulsion…Il raconte une histoire d’addiction à des pratiques sexuelles excessives et répétées qui envahissent et règlementent la vie d’un trentenaire new-yorkais, dans une surenchère désespérée…

En ces temps de polémiques et de remontées médiatiques autour de scandales liés à de véridiques ou présumées addictions sexuelles, SHAME représente une formidable étude clinique et vient questionner les idées reçues : à savoir, les notions de déviance, de perversion, de dépendance et par là même de maladie, qui sont bien souvent amalgamées, confondues et mélangées en un pot-pourri à l’arrière-goût vaguement écœurant.

Le héros, Brandon, (joué par un époustouflant Michael Fassbender) nous fait ressentir sa quête illusoire et désespérée, nous entrainant dans une apnée sans espoir, une plongée haletante ( !) dans les abysses du manque, de l’obsession jamais rassasiés.

Que s’et-il donc passé dans l’histoire de Brandon et de sa sœur Sissy pour que deux êtres doués, d’une séduction hypnotique, en apparence intégrés, se retrouvent isolés dans leurs enfers respectifs, dans un mal de vivre et une incapacité à créer des liens et investir une affectivité dans la réciprocité ?…

La frontière entre addiction, ou dépendance, et déviance ou perversion mérite déjà d’être interrogée : à partir de quand peut-on en effet considérer l’addiction au sexe comme une maladie ? Si l’on se réfère aux classifications des troubles psychiatriques proposées par le DSM-IV( Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux qui est un manuel de référence classifiant et catégorisant des critères diagnostiques et recherches statistiques de troubles mentaux spécifiques) la dépendance est, au sens phénoménologique, une conduite qui repose sur une envie répétée et irrépressible, en dépit de la motivation et des efforts du sujet pour s’y soustraire. Le sujet se livre à son addiction (par exemple: utilisation d’une drogue, ou participation à un jeu d’argent), malgré la conscience aiguë qu’il a d’abus et de perte de sa liberté d’action…

On peut donc ici associer la dépendance, ou addiction sexuelle (l’’anglicisme addiction est au sens courant souvent synonyme de toxicomanie et désigne tout attachement nocif à une substance ou à une activité) au besoin compulsif, irraisonné et envahissant de consommer non pas un produit mais de trouver la jouissance sexuelle via l’intermédiaire de l’autre (réel ou virtuel) qui devient objet et support excitatoire. La relation sentimentale, de sujet à sujet, ne fait pas partie du projet, non pas par choix mais par incapacité…

La perversion serait, à la différence, le projet conscient et volontaire d’utiliser l’autre en tant qu’objet à seule fin d’assouvir une pulsion. La déviance sexuelle, ou paraphilie, serait fondée sur des comportements sexuels « anormaux » caractérisés par des impulsions sexuelles compulsives, envahissantes et inadaptées (comme exemple ; le voyeurisme, l’exhibitionnisme, le fétichisme isolant de toute intimité sexuelle ou réciprocité affective …) Ors, dans SHAME, Brandon ne cherche pas à manipuler l’autre ou à le réduire à l’état d’objet de façon volontaire, ni encore à être uniquement sur un mode répétitif et obsessionnel de relation virtuelle ou pornographique. Mais il « consomme » dans une relation uniquement sexuelle celles ou ceux qui se présentent à lui, sans être dans la capacité de créer un lien. Et lorsque l’opportunité d’une relation sentimentale apparait, sa virilité se trouve mise en échec, il ne peut conjuguer les affects et le sexe, ni être dans la sensualité, la lenteur, l’abandon, l’extase. Rien d’étonnant à cela : 80% des hommes ayant des compulsions sexuelles vivraient aussi des difficultés sexuelles…

Une addiction extrême de ce type renvoie au questionnement sur l’histoire de la personne, sur la construction de son identité, de sa capacité ou non à créer des liens ; l’individu ne peut fonctionner que dans une quête effrénée du plaisir ne procurant qu’un assouvissement bref ; assouvissement d’un besoin-pulsion qui le laisse à chaque fois encore plus dans la honte, le dégoût de lui-même, dans une captivité où l’oubli recherché n’est obtenu que pendant quelques brèves secondes de jouissance. De la jouissance liée à une décharge, mais en aucun cas de l’extase générée par la relation à l’autre …

Dans notre société de consommation (notamment de l’autre comme objet), de recherche de plaisir rapide et de difficulté à supporter toute forme de frustration, le manque devient source insupportable de souffrance, jusqu’à en devenir une pathologie…

Tout cela pourrait paraitre assez désespérant, car dans le film Brandon, cloitré dans sa solitude et son silence, ne demande aucune aide, et ne semble pas mettre de mots sur la situation pathologique de son état… Déni ou souffrance tellement grande qu’elle ne peut utiliser le canal des mots ? La reconnaissance qu’il y a un problème, à savoir l’abandon du déni, (qui constitue aussi un rempart et une protection…), peut permettre de demander de l’aide, d’avoir envie de sortir de cette dépendance en démarrant une thérapie ; il s’agit d’un chemin qui peut être long dans le cadre d’une thérapie analytique, mais qui peut aussi, selon les personnes, être travaillé de façon plus comportementale…Le plus difficile étant de franchir le pas, et donc de commencer à faire confiance à quelqu’un…

Pour élargir le focus… :

Philippe Brenot : Les hommes, le sexe et l’amour Editions des Arènes, Paris 2011

Dr Catherine Solano Pr Pascal De Sutter : La mécanique sexuelle des hommes Editions Robert Laffont – Paris 2011-

Jacques Waynberg : Jouir c’est aimer Editions Milan Paris 2004

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.